« Ainsi, la foi est l’assurance que nos espoirs se réaliseront, la conviction que l’invisible existe. »
HEBREUX, 11, 1
Pour vivre, il convient d’avoir la foi. Foi pour se brosser les dents, foi pour se dévêtir, foi pour remonter son réveille-matin, foi pour se mettre au lit. Avant de se coucher, les maîtres Kadampa du Tibet sacrifient à la coutume du lit de mort, en retournant leur tasse de thé, pour se rappeler la non-permanence de leur existence. Rien n’indique, en effet, que nous nous réveilleront demain matin ; partant, le seul fait de régler son réveil est déjà un acte de foi en soi, puisque nous croyons à un lendemain que nous ne pouvons qu’imaginer. La foi, c’est cela.
[…]
En parlant de foi, nous soulevons infailliblement la question de son antonyme, c'est-à-dire le doute, côté obscur, face cachée de la foi. Il suffit d’un simple regard sur le monde qui nous entoure pour que les doutes qui nous assaillent prennent toute leur signification. Au dire de certains, le doute représente un des grands problèmes contemporains. T.S. Eliot n’écrivit-il pas :
Entre le concept,
Et la création,
Entre l’émotion,
Et la réponse
L’ombre s’interpose…
Cette ombre dont il est ici question, c’est le doute. Cependant, il nous faut d’abord admettre qu’il suffit d’entreprendre une tâche pour qu’aussitôt s’installent le doute et l’incertitude. Même la méditation porte en elle sa part de doute. « Mon esprit n’est jamais tranquille…Je me sens incapable de faire ceci ou cela… Je n’ai pas l’impression de m’y prendre comme il se doit… Je ne tiendrai jamais vingt minutes… »
Même expérimentées les personnes qui s’adonnent à la méditation pressentent toujours une certaine errance spirituelle, et se seront préparées à combattre leurs doutes et leur confusion de pensée. Nul ne sera surpris d’apprendre que les plus saints et les plus sages, y compris Bouddha, auront connu des instants de doute. Soyez donc bienvenus au club ; c’est justement par la foi quenous les surmonterons et que nous pourrons poursuivre notre tâche.
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Sur le chemin de la spiritualité, nous devons nous attendre à perdre peu ou prou la foi, à ce qu’en nous s’installe le doute, voir le désespoir. Tout peut alors nous sembler confus et chaotique, truffés de zones d’une insondable obscurité. Nous nous mettons à douter de la pertinence du processus ou même d’une possibilité d’illumination. Mon maître zen coréen, Ku San (neuf montagnes), avait fait sien un aphorisme que l’on pourrait traduire ainsi : « A petit doute petite illumination, à grand doute grande illumination. » Aussi nous engageait-il à entreprendre un dialogue spirituel appelé « combat du dharma », où l’on joue à se colleter avec ses peurs les lus profondes, ses angoisses et ses interrogations.
Parfois aussi l’unique solution qui nous soit offerte consiste à nous raccrocher à ce qui nous reste de foi, en nous rappelant que nous sommes dans une période transitoire. Si insupportable qu’elle puisse nous paraitre, l’existence porte en elle l’assurance d’un changement, de quelque nature qu’il soit. Fortes de cela, les personnes avisées auront foi en ce que leurs doutes font partie d’un processus normal d’évolution. Quand bien même ignorions-nous temporairement la façon la plus éclairée de résoudre un dilemme, il nous sera toujours loisible de nous renouveler, de nous renforcer, de recharger nos batteries en gardant à l’esprit que la situation évolue déjà, là, sous nos yeux. Il existe une méthode très ancienne qui s’adresse à ceux pour qui une séance de méditation devient éprouvante : elle consiste à s’interrompre, se détendre, se rafraichir les idées, puis recommencer. Il en va de même pour la vie de tous les jours, sitôt qu’une situation prend une tournure inattendue ou se révèle particulièrement douloureuse. Il suffit d’essayer, mais encore faut-il garder la foi.
Cette foi nous vient de notre conviction à pouvoir nous ouvrir à la vie. Cette notion de foi en l’avenir se positionne à rebours de toute attitude dirigiste, tant envers notre vie qu’envers celle d’autrui. La notion de foi est également sous-jacente à celle à celle du renoncement bouddhiste, laquelle induit l’aphorisme populaire de celui qui, philosophe, déclara : « Laissons faire », ce « Let it be » si bien inspiré de John Lennon. Etre habité par la foi revient à pouvoir chanter et danser la vie sous toutes ses formes. Cette foi est source de joie et d’engagement au détriment de notre pusillanimité et de notre peur du lendemain. Elle laisse place à beaucoup moins d’inquiétudes au profit d’un meilleur accès aux mystères de l’existence.
L’AVEU
Comme le nageur
tourne son visage vers le ciel
et laisse l’eau le soutenir,
comme le faucon est dans les airs
avec l’air pour le retenir, je veux apprendre
à tomber et, libre, flotter, dans la profonde
étreinte de l’Esprit créateur,
sachant que nul effort n’est besoin
pour toucher à tant de grâce.
Denis Levertov
Lama Surya Das, Eveillez votre spiritualité
Photo : Anders Malm