Je le fuyais, au long des nuits, au long des jours ; Je le fuyais au long des arches des années ;
Je le fuyais au long des labyrinthes de mon propre esprit ;
Et sous la bruine des larmes je me cachais de
Lui ou bien sous un rire fou.
Je fonçais au galop dans des trouées d’espoir…
Je m’élançais tête baissée au profond des
ténèbres géantes.
Dans des Abîmes de crainte…
Pour fuir ces pieds puissants qui me suivaient,
qui me poursuivaient :
D’une poursuite sans hâte,
D’une allure imperturbable,
D’une vitesse calculée,
Avec une instance pleine de majesté,
Ils frappaient le sol – et une Voix frappait, plus
instante encore que le pas :
- « Tout te trahit, toi qui Me trahis. »
Je me mis alors à fuir par les marches du monde,
Je secouais les grilles d’or des étoiles,
Je frappais leurs barreaux sonores pour qu’elles
me donnent un don ;
Je provoquais à de doux entretiens d’un babillage
argenté les hâvres pâles de la lune ;
Je disais à l’aurore : « Dépêche-toi ! »
Et je disais au soir : « Viens vite ! »
avec tes jeunes fleurs de ciel cache-moi tout à fait
Loin de ce terrible Amour…
« Fais flotter tout autour de moi ton voile d’incertitude,
de peur qu’Il ne me voie ! »
La crainte ne croit guère à la fuite
Mais l’Amour, Lui, croit bien à la poursuite :
Encore et toujours dans une chasse implacable,
D’une allure imperturbable,
D’une vitesse calculée,
Avec une instance pleine de majesté,
Venait toujours la poursuite de Ses pas
Et une Voix au-dessus de leurs battements
me disait :
« Rien ne t’abrite, toi qui ne veux pas M’abriter. »
J’éclatais de rire dans les yeux du matin
Je triomphais et puis je m’attristais, au gré du
temps.
Le ciel et moi nous pleurions ensemble
Mais tout cela, non, tout cela ne soulageait pas
ma poignante douleur d’homme.
En vain mes larmes mouillaient-elles la joue
grise du ciel,
Car hélas ! nous ne savions pas ce que l’autre
disait ( ces choses et moi).
Et par-dessus le bruit de Ses pas
Une Voix vient plus rapide encore :
« Vois ! Rien ne te contente
Toi qui ne sais pas Me contenter. »
Ah ! faut-il donc, Dessinateur infini !
Ah ! faut-il donc que Tu carbonises entièrement
le bois avant de pouvoir dessiner avec lui !
Ma jeunesse a répandu sa tremblante averse
dans la poussière.
Et maintenant mon cœur n’est plus qu’une
source brisée.
Où stagnent les larmes sans cesse répandues,
A cause de mes pensées toutes grelottantes,
sur les branches soupirantes de mon âme…
Tout ce que je retirais de toi, je ne faisais que le prendre,
Non pour te faire du mal,
Mais seulement pour que tu puisses un jour le retrouver dans Mes bras.
Tout ce que ton cœur d’enfant s’imaginait à tout jamais perdu :
Je l’ai engrangé pour toi à la maison !
« Lève-toi – prends ma main -, et viens ! »
Il s’arrête tout près de moi, ce pas : Mes ténèbres, après tout, ne serait-ce pas
L’ombre de Sa main qui s’étend sur moi comme une caresse ?
« Ah ! mon enfant si aimé, si aveugle et si faible !
Je suis celui que tu cherches
Tu repoussais l’amour, toi qui me repoussais. »
Francis THOMPSON